Dans les rues marchandes.

Hieran entra dans le port, Cala à son bras et tenant la bride de son cheval de sa main libre. Les passants se retournaient devant ce couple atypique car si Cala rayonnait naturellement, Hieran était dans un piteux état. Ses vêtements étaient plein de poussière et rapiécés en divers endroits et son cheval ne valait guère mieux.

Ils marchèrent dans les rues du port et Hieran ne manqua pas d'indiquer à Cala les meilleures boutiques et celles à éviter. Il avait besoin de cuir pour ses bottes, ses vêtements et la selle de son cheval, c'est pourquoi il emmena Cala chez le tanneur.

"L'homme qui tient cette boutique est brave et honnête... des valeurs qui tendent à se perdre par ici..."fit-il remarquer à Cala avant qu'ils n'arrivent chez le tanneur.

Celui-ci était en train de travailler une belle peau de vache et la sueur perlait sur son front. Ses cheveux étaient noirs et broussailleux, de même que l'était sa barbe. Quand il vit Hieran arriver au bras de Cala, le tanneur releva la tête, essuyant son front d'un revers de manche et salua le guerrier.

"Tiens ! Mais qui voilà ?! Hieran ! Ah ! Je me disais bien que tu ne devrais pas tarder à repasser par là ! A chevaucher comme tu le fais, même le plus épais des cuirs ne pourrait tenir bien longtemps !"dit-il en riant, découvrant de belles dents blanches.

Hieran adressa un franc sourire au tanneur et lâcha le bras de Cala, lui adressant un sourire, avant d'aller saluer le tanneur. Ils se serrèrent les avants-bras, comme il était de coutume chez eux et Hieran dit :"Je suis content de te voir, Turg ! Comment se porte ta petite famille ?"

"Bien ! Ma foi, Rosaline attend un autre enfant et la p'tite Rebecca pousse comme du chien dent ! Hahaha !"répondit-il, les yeux brillants. Puis, le tanneur posa ses yeux verts qui contrastaient avec son visage bruni par le soleil et inclina la tête par respect, car même s'il ne savait pas qui était Cala, la prestance de celle-ci suffisait au tanneur pour savoir qu'elle était une personne importante, qui plus est, elfe.

"Bonjour, dame elfe, pardonnez mon état lamentable mais le métier de tanneur n'est pas aussi propre que celui d'enlumineur !"dit-il en souriant.

L'impératrice s'assit d'un bond gracieux sur un ballot de cuir pret à être livré.
Elle était ravie de se trouver ici même si l'odeur particulièrement forte la génait.
"Bonjour à vous, Maître Turg, vous savez j'ai connu des enlumineurs qui finissaient leur journée de travail couverts d'encre.... Par contre je n'ai jamais vu de vrai tanneur immaculé. Les taches de votre pourpoint sont autant de témoignages de votre talent. J'admire beaucoup toute personne qui se donne autant que vous à une activité, Talith-eael choisit ses amis avec soin, votre âme à vous aussi est très belle.... Même la sienne reste incomparable...."

Le tanneur jeta un coup d'oeil surpris à Hieran : "qu'est ce qu'elle a dit ? Talith quoi ?"
Mais à ce moment la petite Rebecca arriva en courant dans l'échoppeles bras écartés en riant aux éclats "Oncle Hieran ! Oncle Hieran !" Et elle lui sauta dans les bras.
Turg prit un air faussement grondeur, il ne pouvait pas se résoudre à gronder sa petite dernière : "Je t'ai déjà dit de na pas venir ici, Rebecca chérie."
Cala ne put s'empécher de sourire devant la scène.
La jeune fille, elle, ne s'intéressait pas vraiment aux remontrances de son père, elle continuait à rire et posait mille questions au rôdeur.
"Tu as eu des aventures ? tu as vu des dragons, hein ? Elle est jolie ton amie, c'est qui ? une elfe ? c'est la première que je vois ! elle est gentille ? je peux la toucher ?"

Hieran accueillit la petite fille avec joie dans ses bras :"Rebecca ! Mais tu as encore grandi ma parole !"

Puis, comme la petite fille lui posait des tas de questions en même temps, Hieran laissa échapper un rire.

"Plus tard, je te raconterai, tu veux ?"fit-il.

Comme la petite fille demandait si elle pouvait toucher Cala, ses boucles blondes virevoltant autour de son visage d'enfant aux joues roses, Hieran rit à nouveau :"Mais non, voyons ! Tu ne peux pas faire ça !"

"Oh..."fit la petite fille, une moue adorable sur le visage, visiblement triste. Mais, de nouveau, elle eut un large sourire et ses grands yeux bleus se posèrent sur Hieran :"Dis ! Tu m'as rapporté quelque chose ?!"

Turg fronça les sourcils :"Rebecca ! Non, mais comment est-ce qu'on t'a éduquée ?!"

"Laisse Turg..."dit Hieran en souriant.

Tout en portant la petite fille, il s'approcha d'Arod et ouvrit l'une des sacoches qui étaient accrochées à la selle. Il en sortit un délicat bracelet en argent et le glissa au poignet de la petite fille.

"C'est un bracelet magique... Quand tu grandiras, il grandira avec toi, comme ça, tu pourras toujours le porter."lui dit-il en souriant.

"Ouais !!!! Il est trop beau !!! Merci Oncle Hieran !"fit-elle. Elle déposa un baiser sonore sur la joue de Hieran avant de sauter à terre, prête à courir le montrer à sa mère mais elle s'arrêta dans son élan et se tourna vers Cala :"Il est beau mon bracelet, n'est-ce pas ?! Vous en avez un aussi beau chez vous, dame elfe ?"demanda-t-elle, ses yeux bleus pleins de candeur se posant sur Cala.

L'Impératrice observait avec délice le manège de la petite humaine. Elle était aux anges.
Lorsque l'enfant s'adressa à elle son sourire s'agrandit encore.
"Oh non, un bracelet donné par Oncle Hieran, il ne peut pas y en avoir d'aussi beau dans le monde entier ! Mais je vais te dire un secret, nous les elfes nous aimons bien les colliers. Et les colliers on les trouveparfois là où on ne les attends pas... tu veux que je te montre ?"
La fillette hocha la tête comme hypnotisée.
Cala reprit "alors il faut chercher des objets inutiles qui trainent... un caillou, des restes de cuir ou meme de l'herbe..."
Rebecca s'empressa de partir en quete de tels objets et revint bientot avec une petite pierre ronde et trois brins d'herbe.
"C'est parfait ! regarde bien, les objets les plus jolis se cachent parfois dans la plus petite des pierres."
Elle prit la pierre dans la paume de la main et referma ses longs doigts autour. On entendit un "pouf" et quelques cendres volèrent. Au creux de la main ouverte de l'elfe reposait un cristal blanc cisellé et engoncé dans un réseau de fils d'argents qui souligne la forme harmonieuse de l'objet.
"Bien sûr pour le moment tu ne peux pas encore le porter", dit-elle à Rebecca encore sous le choc qui ne pouvait que regarder avec de grands yeux.
Elle procéda de même avec les brins d'herbe pour obtenir une fine chaine de maillons d'argent si minuscules qu'on avait peine à les distinguer.
Elle lia le joyau à la chaine et présenta le résultat à l'enfant éblouie.
Maintenant tu as un beau braelet et un joli collier... malheureusement il n'est pas magique, tout ce qu'il sait faire c'est rester toujours avec sa propriétaire sans jamais se perdre."
Elle lui offrit un grand sourire de plus.
Rebecca reprit ses esprits quand l'elfe lui passa le collier autour du cou.
"Papa, papa ! Oncle Hieran ! vous avez vu ! elle est magicienne ! elle m'a donné un collier ! Je peux le garder aussi ? s'il te plait !"
Le tanneur, qui n'en revenait toujours pas, ne savait que répondre, bien sûr il se méfiait de la magie, comme toute personne douée de raison qui se respecte... mais l'elfe semblait gentille et qui plus est elle était l'amie de Hieran...
"Hieran ? qu'en dis tu, est ce une bonne idée ?"
Cala ne prenait pas offence d'un tel comportement, elle le trouvait même rassurant. Elle avait eu raison de faire confiance à cet homme.

Hieran connaissait la magie des elfes pour avoir vécu auprès d'eux pendant une grande partie de sa vie mais il restait néanmoins fasciné par celle-ci. Il sourit à la petite fille qui montrait son collier à Hieran tout en ne cessant de répéter :"Ah qu'il est beau mon collier !! Et mon bracelet aussi ! J'ai bien de la chance ! Je veux être une elfe moi aussi !" mais s'adressa à son père :"Oui, bien sûr que c'est une bonne idée... Un cadeau de l'Impératrice, elle-même, penses-tu."dit-il.

Turg en resta bouche bée et porta son regard sur Cala, incrédule. Il tourna son visage vers Hieran qui lui fit un signe de tête pour lui dire que oui, c'était bien l'Impératrice en personne. Turg fut tout à coup très gêné par son accueil et se confondit en excuses. Mais il s'embrouillait tellement que Hieran lui vint en secours en disant :"Oh fait ! Si je suis venu ici, c'est pour te voir, bien sûr, mais également car j'aurais besoin de cuir..."

"Hein ?... Heu, oui, bien sûr !"dit Turg qui avait un peu de mal à s'en remettre. Il secoua la tête et ajouta :"Je te donne la même chose que d'habitude, j'imagine ?"

Hieran acquiesça d'un hochement de tête :"S'il-te-plaît..."

Le tanneur s'enfonça dans son atelier, Rebecca sur les talons, riant et chantant qu'elle avait de beaux bijoux.

Hieran se tourna alors vers Cala et lui sourit :"Assurément, Rebecca est la petite fille la plus chanceuse : recevoir un présent de l'Impératrice des elfes est relativement rare."

L'Impératrice observait la réaction de la fillete avec joie, pensant qu'elle avait au moins fait une heureuse... mieux vallait ne pas lui dire que son collier avait la même valeur de le quartier tout entier...

Lorsque Hieran apprit à Turg qu'elle était l'Ipératrice, elle fit un petit signe de la main en montrant son sourire le plus inoffensif et bienveillant.
Après le départ du tanneur et de sa fille, Cala descendit de son perchoir et s'approcha de Hieran.
"Elle est si mignonne, je n'ai pas pu m'empecher."dit-elle un peu honteuse. Puis elle déclara "c'est assez simple en fait à ce niveau, juste un remaniement atomique. Vous connaissez les atomes ? ces petites particules qui composent la matière..."
C'était la première fois que Hieran la voyait se vanter sérieusement, même de manière indirecte.

Un vague souvenir d'un vieil enseignement lui revint en mémoire lorsque Cala parla d'atomes, mais Hieran aurait cependant été bien incapable de dire de quoi il en retournait exactement. Il répondit, en souriant :"Ma foi, ce terme a déjà atteind mes oreilles mais je ne pourrai dire exactement ce que c'est !"

"En tout cas, c'est une magie bien utile que celle que vous maîtrisez, si à partir d'un simple caillou et de brins d'herbe vous pouvez constituer un collier digne d'une princesse, je n'ose imaginer ce que vous pouvez faire d'autre !"dit-il, sincèrement impressionné.

Quelques instants plus tard, Turg revint, suivi par sa femme Rosaline qui tenait Rebecca dans ses bras. Le ventre de Rosaline était joliment arrondi, ce qui présageait que la naissance serait pour bientôt. La mère ressemblait à la fille : des boucles blondes, de grands yeux bleus et des joues rondes. Lorsqu'elle vit Hieran, son visage s'illumina d'un large sourire :"Comme je suis contente de te voir Hieran !"fit-elle en se dirigeant vers ce dernier. Elle serra la main du guerrier avant de se tourner vers Cala. Elle inclina sa jolie tête et déclara :"Bonjour, Impératrice."

"Tu vois, je te l'avais dit qu'elle était belle, hein maman ?!"fit Rebecca comme si elle montrait un dessin à sa mère dont elle aurait été fière d'être la créatrice.

"Oui, oui ma toute belle."dit Rosaline en déposant un baiser dans les cheveux de sa fille.

Turg s'approcha alors, tenant un ballot fermement empaqueté :"Hieran ? Voilà ce dont tu as besoin."

"Merci bien, Turg !"fit Hieran en prenant le paquet. Il détacha une bourse et la tendit au tanneur. Celui-ci recula et dit, secouant la tête :"Non, non... avec ce qui a été offert à Rebecca... cela suffit." Mais Hieran insista et mit la bourse dans la main de l'homme et la lui referma :"Prends cet argent."dit-il d'un ton sans réplique, regardant le tanneur droit dans les yeux.

Turg fut gêné mais accepta tout de même, les temps étaient durs et les taxes élevées... Rosaline proposa alors joyeusement :"Dînez avec nous ce soir !"

L'Impératrice ne laissa pas à Hieran le temps de répondre : elle le prit de vitesse, et avec un grand sourire déclara :

"Bien sûr ! Nous serions honnorés de nous joindre à vous et à votre merveilleuse petite fille. N'est ce pas, Talith-Eael ?"

Sans même lui laisser le temps de répondre, elle reprit :

"Il est d'accord ! nous restons donc... ne vous faites pas de soucis !"

Elle voyait bien que le couple n'avait pas vraiment compté sur une réponse positive et se trouvait du coup gèné. Elle se maudit interieurement pour sa réponse hative. Les deux humains allaient forcément se trouver dans l'embarras en cherchant comment satisfaire ce qu'ils imaginaient être des gouts dignes d'une impératrice. Et dans le pire des cas, dépenseraient un argent durement gagné pour des futilités...
Alors elle prit une inspiration, et risqua un oeil spirituel dans les pensées des humains et dans la maison... après quoi elle déclara :

"Je vais vous confier un secret : avant d'être Impératrice, j'étais ménestrelle, un jour au delà des mers j'ai joué dans une auberge pour mon diner... Ils m'ont servi la meilleure galimafrée aux prunneaux que j'ai jamais mangé.... je serais curieuse de savoir si les habitants d'Obélia connaissent aussi cette recette..."

Les deux humains en restèrent sans voix un instant : le choc d'entendre l'une des personnes les plus influentes du continent parler de sa vie privée l'air aussi ouvert et de découvrir qu'elle était si abordable était grand... L'idée qu'elle puisse se satisfaire d'un simple plat de restes de mouton était à la limite du grotesque....

Cala continua : "par contre, je vous prie, évitez les navets je les ai en horreur...."

Un peu rassurés par ce genre de demande plus compréhensible de la part d'une "aristocrate", Ils retrouvèrent leur langue.
Turg parla d'abord "Oh... Bien sûr ! Ma femme fait la meilleure galimafrée de tout Capustan ! A vrai dire, nous avions prévu ce plat pour ce soir, je m'en faisais déjà une joie..."

Cala battit des mains. "Formidable ! quelle chance ! vous avez entendu, Talith eael ? Nous sommes bénis par Fenreirn ! ... je veux dire, vous aussi etes béni !"

Rosaline mit quelques secondes de plus à réagir.
"Et bien... Nous sommes heureux de pouvoir vous satisfaire... c'est un grand honeur pour nous. Mais il est encore tôt... voulez vous patienter chez nous ? ou peut etre aviez vous d'autres projets pour l'après midi ? Je connais Hieran et il aime regler toutes ses affaires dans la cité en une fois..."

Hieran hocha la tête pour dire que Rosaline avait raison :"C'est exact ! J'ai encore quelques achats à faire... Puis-je vous laisser Arod ?"demanda-t-il au couple.

"Bien sûr !"répondit aussitôt Turg en souriant.

Il prit la bride du cheval et déclara :"Je vais m'en occuper ! Vous pouvez y aller !"

"Merci bien, pour tout."fit Hieran en souriant à Rosaline et à Turg.

Sur ce, il s'éloigna avec Cala dans les rues du port. Il informa Cala qu'il devait aller acheter quelques provisions pour lui et son cheval. Sur le chemin, il posa enfin la question qui lui trottait dans la tête depuis un petit moment :"Pourquoi m'appelez-vous Talith-Eael ?"

En partant Cala fit un petit signe de la main à la petite fille blonde puis se pendit à nouveau au bras de Hieran pour déambuler tranquillement dans les rues.

Lorsque le chevalier luiposa la question qui le tiraillait depuis déjà plusieurs jours, elle eut un petit rire cristallin espiègle et offrit à l'homme un visage malicieux.

"C'est ainsi que vous êtes connu à Efil'Althana, mon ami... C'est ce que vous êtes... Talith Signifie Doré comme il est utilisé ici : c'est à dire de la même manière que dans le nom de notre forêt protectrice sur Obélia... C'est un nom près apprécié ici, m'a t on dit.... Eael est ici une manière de dire "yeux"... mais il signifie aussi "âme". Je trouve que celà vous va à la perfection..."
Sa voix avait pris une tonalité rêveuse au fil de son explication.
Elle attendit une seconde puis :
"Vous n'êtes pas trop déçu au moins, vous voulez que j'arrete de vous appeler comme ça ?"

Hieran sourit aux explications de Cala. Il la rassura quand elle lui demanda si cela le gênait qu'elle l'appelle ainsi :"Non, pas le moins du monde... A vrai dire, un de mes professeurs elfes me nommait déjà ainsi mais je n'ai jamais eu l'occasion de lui demander ce que cela signifiait car il s'en est allé un beau jour, sans crier gare."avoua-t-il.

"Et puis... plus personne ne m'a appelé ainsi par la suite... jusqu'à aujourd'hui, bien évidemment."dit-il en souriant à Cala.

Des images de sa vie chez les elfes revinrent à sa mémoire et un voile de tristesse passa dans ses yeux alors qu'il se rappelait du jour où il avait rencontré pour la première fois sa femme.

Cependant, il écarta rapidement cette pensée et ajouta, se forçant un peu à avoir l'air léger :"Tiens ! Voilà le boucher !"

Ce disant, il s'avança vers l'étal du dit boucher et lui demanda de la viande séchée.

"C'est très pratique lorsqu'on voyage beaucoup !"commenta-t-il alors qu'il payait le boucher.

L'Impératrice prit conscience du changement d'humeur du guerrier, la tristesse menaçait de le submerger. Elle perçut aussi les efforts qu'il faisait pour se contenir. Elle n'insista donc pas mais serra le bras de Hieran comme si elle pouvait lui transmettre sa force... et qui sait ? Peut être le pouvait-elle... seul Hieran lui-même pourrait le dire.

Elle s'étonna des commentaires du guerrier sur la viande sechée mais se rappela que les humains n'avaient pas l'habitude de chasser lors de leurs expéditions, contrairement à elle par exemple.

"Vous mangez réellement ce genre de chose lors de vos voyages ? c'est très ingénieux ! Est ce bon ? Que vous reste t il à acheter ? Il faut de la nourriture pour le pauvre Arod ! Je n'ai jamais beaucoup apprécié les chevaux... sauf mon vieil Enyel bien sûr... mais on m'a toujours dit que le grain était bien meilleur pour conserver leur force et leur endurence.... Qu'en dites vous ? Nous n'élevons pas de chevaux à Efil'Althana."

Elle semblait réellement intéressée.

Hieran sentit son coeur s'alléger quelque peu quand il sentit l'Impératrice serrer son bras. Il eut finalement un sourire face à l'avalanche de questions que Cala lui poser.

"Eh bien, la viande séchée se laisse manger... C'est assez pratique quand on n'a pas le temps de chasser mais j'avoue préférer les ragoûts de lapin !"dit-il pour répondre à sa première série de questions.

"Oui, il faut que j'achète de l'avoine pour Arod... En général, il se contente de manger l'herbe de la plaine... Mais c'est mieux pour lui, disons, qu'il me boude si je ne lui en prends pas !"ajouta-t-il.

Il se rendit compte que cela faisait cinq minutes qu'il parlait de l'alimentation de son cheval et il eut un sourire un peu gêné :"Pardonnez-moi... l'alimentation d'un cheval n'est sûrement pas le genre de conversation que vous avez l'habitude d'entendre... Ce n'est pas vraiment intéressant !"fit-il pour s'excuser.

Tout en parlant, ils étaient arrivés chez le marchand d'avoine (>< pas d'autre idée, dsl) et Hieran acheta ce dont il avait besoin en demandant de lui faire livrer chez Turg.

"Voulez-vous aller sur les quais ?"proposa-t-il alors.

L'impératrice avait un air très sérieux, c'en était presque comique lorsqu'elle déclara avec véhémence :
"Mais si c'est intéressant ! c'est vrai que je n'ai pas l'habitude de parler de ce genre de choses, mais vous savez, je n'ai pas l'habitude de parler de quoi que ce soit avec qui que ce soit... enfin pas réellement... je ne sais pas si vous comprenez. Enfin si. Si quelqu'un peut comprendre alors vous êtes cette personne. Ils ne me considèrent pas comme une elfe. Plus comme une icone, une figure digne d'adoration. Je suppose que je devrais me réjouir ... mais c'est si fatiguant, je peux dire n'importe quoi, faire n'importe quoi, tout sera toujours prit comme argent comptant. Pas moyen de discuter.... Oh je dois vous ennuyer avec mes histoires, ce ne sont que des caprices d'enfant gâtée, n'y pretez pas attention..."
Son ton qui était devenu monotone se remplit à nouveau de vie.
"Venez, vous avez raison ! allons sur la jetée."
Quelques rues plus tard, les deux promeneurs arrivent face à la mer.
"J'aime bien la mer, c'est si beau, si vivant..."
Toujours accrochée au bras de Hieran, elle semble rêveuse...

Hieran resta silencieux face aux paroles de l'Impératrice. Il ne pouvait que s'imaginer ce qu'elle pouvait endurer sans pour autant prétendre savoir ce qu'elle ressentait. Après tout, lui n'avait jamais eu à occuper une place si importante...

Ils arrivèrent sur les quais au moment où le jour commençait à décliner. Les derniers marins finissaient de décharger les cargaisons des bateaux alors que les mouettes volaient autour des quais à la recherche de quelque nourriture.

Le temps était doux et Hieran sentit une vague de quiétude le submergeait alors qu'il contemplait la mer qui leur faisait face. A cet instant, il retrouvait un peu du calme qu'il avait connu lorsqu'il habitait au bord de l'océan avec sa femme et ses fils.

Il baissa la tête à ce souvenir. Quand bien même de nombreuses années étaient passées, il était toujours hanté par les mêmes souvenirs et il avait l'impression que cela ne cesserait jamais.

Malgré la tiédeur de l'air, il frissona, le charme du moment semblait être rompu, en tout cas, en ce qui le concernait car, alors qu'il jetait un regard à Cala, il la trouva, souriant doucement devant le spectacle du soleil couchant, ses traits grâcieux devenant encore plus beaux sous la lumière déclinante.

Il eut un léger sourire mais ne dit rien jusqu'à ce que le Soleil se fut couché :"Venez... Nous devrions retrouver Turg et sa famille."fit-il d'une voix douce pour ne pas troubler la contemplation de l'Impératrice.

L'Impératrice se délectait du spectacle de la mer en mouvement et des reflets du soleil couchant sur l'eau... cependant elle était douloureusement consciente des changement d'état d'esprit du guerrier à ses cotés. Sa tristesse et sa mélancolie lui faisaient de la peine, elle aurait aimé pouvoir l'aider à laisser son passé derrière lui, mais seul Hieran lui-même pouvait prendre l'initiative. Ellese contenta donc de ne pas laisser paraitre son trouble et afficha un sourire imperturbable, bien décidée pourtant à empécher l'humain de se laisser à de douloureux souvenirs.

Lorsque Hieran la tira de sa réflexion, elle acquieça de la tête et l'accompagna. Sur le chemin elle prit la parole :

"Vous savez si j'aime beaucoup la mer, je ne supporte pas les bateaux : j'en ai une sainte horreur... qui peut bien aimer voyager sur ces coquilles de noix.... il y a encore des progres à faire.... Le seul navire sûr et efficace que je connaisse est à des milliers de kilomètres d'ici au large de mon continent... c'est désespérant... Il faudrait que vous le voyez ! il est magnifique... je l'ai conçu moi même ! un mélange astucieux de magie et de technologie moderne.... vous aimes les bateaux, vous ?"

Elle aurait voulu lui poser des questions sur son passé mais elle craignait de raviver sa douleur et de lui rememorer de terribles souvenirs....

Hieran ne put s'empêcher de rire un peu aux paroles de Cala. Ce n'était pas vraiment un rire moqueur mais il ne pouvait que s'étonner de la façon dont l'Impératrice pouvait parler : lorsqu'elle était lancée sur un sujet, elle semblait ne pas pouvoir s'arrêter jusqu'à ce qu'elle ait dit tout ce qu'elle pensait.

"J'avoue ne pas trop aimer les bateaux... Je les trouve trop instables, rien ne vaut la bonne terre ferme sous mes pieds ou sous les sabots de mon cheval... Mais, je vous crois si vous dites que vous avez réalisé un si beau navire, le contraire serait étonnant venant de l'Impératrice des elfes."dit-il en souriant à Cala.

En réalité, il était reconnaissant à Cala de parler comme elle le faisait. Au moins, elle avait le mérite de lui changer les idées et ce, d'autant plus facilement que Hieran était quelqu'un de solitaire et de peu loquace. Ca lui changeait et ce n'était pas pour lui déplaire, se prit-il à penser.

Mais alors qu'ils discutaient bateaux, Cala lui expliquant l'architecture de son navire et lui écoutant respectueusement, ils arrivèrent en vue de la maison de Turg et de sa famille. Hieran toqua à la porte et Rebecca vint lui ouvrir :"Vous arrivez pile poil pour le dîner !"fit-elle fièrement. Elle portait les bijoux qui lui avaient été offerts et avait mis dans ses boucles blondes des rubans rouge coquelicot qu'elle aimait à faire virevolter en balançant ses cheveux dans tous les sens.

Hieran rit de bon coeur à la phrase de bienvenue de la petite fille alors que sa mère la sermonnait, le visage sévère pour son langage.

Ils entrèrent alors dans la petite maison. En réalité, il n'y avait qu'une grande pièce unique dont la plupart de l'espace était occupé par une grande table en bois, flanquée de chaque côté par un banc construit dans le même bois. Au fond de la pièce, une cheminée se dressait et un feu brûlait, faisant chauffer le plat préparé par Rosaline. Une agréable odeur de cuisine se répandait dans la maison et Hieran déclara :"Mmm ! Rosaline ! Tu nous gâtes trop !"

La femme rougit sous le compliment avant de jeter un regard à son mari :"Mais non, voyons !... Allez ! Installez-vous que je puisse vous servir !"ordonna-t-elle.

Cilistalia s'était laissée prendre à son propre jeu au cours de la discussion et s'évertuait à vanter les qualités de "son" navire (aussi bien au niveau de sa construction unique, ou de son mode de propulsion qu'au niveau de ses performances inégalables actuellement d'après elle) avec un enthousiasme certain.

L'arrivée au domicile de la famille de Turg mit un frein à son exhubérance et elle passa à une autre idée en s'extasiant sans retenue sur la beauté de la jeune Rebecca. Princesse, mon coeur et éblouissante étaient des expressions qui revenaient plus souvent qu'à leur tour dans ses propos enflammés. Ce qui comblait la fillette désormais aux anges. Très heureuse d'avoir une amie ayant aussi bon goût que l'Impératrice.

Suivant l'injonction de la maîtresse de maison avec un sourire, elle alla prendre place juste en face de Hieran et de Turg, à coté de Rosaline. Rebecca insista pour se placer entre son papa et l'oncle Hieran. Sa requete fut, bien sûr, acceptée. Pendant le repas, particulièrement réussi, il faut le dire, Rebecca posa moult questions toutes plus saugrenues les unes que les autres et provoqua l'hilarité générale. L'une des réponses qu'elle obtint impressionna particulièrement la jeune fille : elle avait demandé à Cala pourquoi ses yeux étaient bizares au grand dam de ses parents qui craignaient que leur invitée ne se fâche devant une telle indiscretion (eux aussi ayant remarqué que l'Impératrice regardait les gens sans les voir,la particularité était masquée par l'habitude de l'elfe mais restait perceptible lorsqu'elle relâchait sa garde). Cala, après une seconde de silence, rit de bon coeur et expliqua à la fillette ébahie qu'il s'agissait d'yeux magiques qu'un dieu lui avait donnés. Ils pouvaient voir des choses.... comme les trois petits cailloux bleus que Rebecca gardait dans ses poches parce qu'elle les aimaient beaucoup et qu'ils ressemblaient aux yeux de sa maman. La réponse fit sensation et tous en restèrent silencieux ....

Une fois que le repas fut terminé, tous s'installèrent dans de larges et confortables fauteuils devant la cheminée, une verre de vin chaud épicé à la main, excepté la petite Rebecca qui elle avait une verre de lait chaud aromatisé au miel...

Hieran, sur la demande de Rebecca, raconta alors l'histoire qu'elle aimait tant, mais qui pourtant était relativement triste... En réalité, si elle la demandait, c'était uniquement car elle n'en avait jamais entendu la fin : elle s'endormait toujours avant... Il conta alors l'histoire de l'elfe qui était tombée amoureuse d'un homme ordinaire. Ils s'étaient rencontrés alors qu'il s'était égaré dans les bois de son royaume et il n'avait dû son salut que par l'action de l'elfe qui demanda à son père de lui épargner la vie, car à cette époque, le secret des demeures elfiques était farouchement gardé. L'homme se révéla être en réalité le fils du plus grand roi des hommes. Malgré la réticence de leurs deux familles, ils se marièrent et, à la mort du père du prince, l'homme emmena sa femme elfe dans son royaume. C'était à ce moment-là que Rebecca s'endormait. Mais la fin était beaucoup plus triste : après des années d'un bonheur parfait, le roi mourrut, laissant sa femme elfe. Celle-ci, accablée par le chagrin, voulut retourner près des siens. Mais ils avaient disparu et elle erra dans les bois de son enfance pour l'éternité.

Rosaline, fort émotive du fait notamment de sa grossesse, ne put s'empêcher de verser une larme avant de se lever et de prendre Rebecca pour aller la coucher.

Quant à Hieran, il demeura longtemps songeur à la fin de son récit, contemplant le feu qui brûlait dans la cheminée.

L'histoire contée par Hieran permit aux humains de surmonter leur surprise vis à vis de l'elfe et celle ci ne soufffla mot durant tout le récit. Elle accepta le verre qu'on lui offrit avec joie mais fut aussi génée : elle n'aimait pas le vin humain, il était trop peu sucré à son gout... L'alcool n'était pas un problème, elle n'appréciait pas le produit tout simplement. Elle se fit pourtant un devoir d'honorerses hôtes du mieux qu'elle le put.
Après quoi elle sortit, bien qu'elle sache pertinament que ce n'était pas raisonable, une tablette de chocolat, dont elle offrit une partie à Rebecca qui se fit une joie de l'engloutir. Et c'est beaucoup plus extravertie que Cala s'intéressa à l'histoire contée par le guerrier ; le chocolat avait en effet une étrange influence sur l'elfe : ses éffets étaient comparables à ceux de l'alcool sur un humain.

Le récit affecta beaucoup l'Impératrice qui pourtant, en bonne ménestrelle, connaissait la plupart des légendes et cette histoire en particulier.
Peut être était ce le chocolat, ou peut etre etait ce la façon dont la racontait Hieran mais le tragique de la situation lui arracha de longs sanglots silencieux. Elle ne pouvait plus s'arreter, la douleur qu'elle croyait deviner dans la voix de Hieran était pour elle la preuve qu'il était plus concerné par ces mahleurs qu'il ne l'admettait généralement. Et cette réalisation l'attrista grandement : personne, surtout pas lui ne devrait porter pareil fardeau.
Elle ne savait trop que faire... voulant apaiser l'humain elle eva furtivement une main tremblante pour lui toucher le visage mais y renonça brusquement, subitemment convaincue que cela ne résoudrait aucun problème ... au contraire...

Lorsque Hieran eut fini et qu'il regardait les flammes l'air encore absent, Cala ne put détacher ses yeux de la silhouette du guerrier. Elle le contempla longuement, des larmes roulant lentement sur ses douces joues.
Enfin sa voix s'éleva, d'abord rendue rauque par le chagrin, sa longue expérience, lui fit retrouver très vite sa limpidité. Elle entonnait un long chant rituel elfique, plus psalmodié que chanté. Ses rythmes cadencés appaisaient les coeurs allourdis par la douleur et reposaient les esprits. Ce chant antique racontait lui aussi l'histoire tragique des deux amants, l'une elfe, l'autre humain. Mais à la différence de l'histoire de Hieran, en dépit des trahisons, de la séparation et de la mort, le chant promettait quelque chose. L'espoir ; la promesse d'un regard bienveillant, d'une présence qui rendrait possible l'impossible, d'une réunion envers et contre tout... la vie.

Alors que le dernier accent de la chanson s'évanouissait dans l'air immobile de la pièce, Hieran s'aperçut que pour la première fois depuis toutes ces années, une larme coulait sur sa joue...

Hieran fixa le feu qui brûlait dans la cheminée, incapable du moindre mouvement alors que la chanson de Cala prenait fin. Turg s'était retiré peu de temps après Rosaline, de sorte qu'ils étaient seuls dans la pièce.

Nullement honteux de la larme qui avait coulé sur sa joue, il réussit enfin à détacher son regard de la danse des flammes pour poser ses yeux dorés sur l'Impératrice. Il remarqua que les yeux de Cala étaient rouges d'avoir si longuement pleuré et son coeur se serra à l'idée qu'il était cause de son chagrin.

"Je ne..."commença-t-il mais sa voix se brisa et il n'alla pas jusqu'au bout de ce qu'il voulait dire.

Il baissa la tête, fixant obstinément le bout de ses chaussures.

L'Impératrice s'approcha doucement, produisant à peine un frottement de tissus alors qu'elle glissa vers le fauteuil de Hieran. Elle posa délicatement une main aussi légère qu'un rêve sur l'épaule de Hieran. Puis elle s'assit au sol, le dos appuyé contre le fauteuil, à coté des jambes de Hieran.

Elle resta là sans mot dire un long moment, laissant Hieran s'habituer à sa présence comme on l'aurait fait pour un animal solitaire, Laissant le guerrier rassembler ses idées et faire le tri dans ses pensées. Elle pouvait difficilement faire plus. Après un moment elle fredonna à mi-voix une berceuse traditionelle de sa terre d'origine, alternant les paroles elfiques et humaines, le regard perdu dans les flammes de l'âtre crépitant.

Avant longtemps, sa voix se fit plus faible puis se tut completement. Peu après sa tête dodelina et vint reposer contre la cuisse de Hieran, l'Impératrice s'était endormie... Le guerrier ne put en être sûr, mais il lui sembla entrevoir, à la lueur vacillante du feu, une larme unique s'écouler entre les paupières délicatement fermées de Cala.

Hieran releva la tête lorsqu'il sentit la main de Cala sur son épaule mais il garda le silence car il lui semblait qu'aucun mot n'avait à être prononcé. Il fut cependant un peu étonné quand Cala s'assit par terre, à côté de lui.

Il ne bougea pas et se laissa bercer par la chanson de l'Impératrice. Lorsqu'elle se tut et qu'il remarqua une larme solitaire coulée sur sa joue, son coeur se serra. Il ne savait rien d'elle et il pensa qu'il devait être de même pour elle à son égard mais il eut l'impression à cet instant qu'ils avaient plus de choses en commun qu'ils ne pouvaient le penser.

Turg arriva à ce moment mais Hieran le fit taire avant qu'il n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit pour éviter qu'il ne réveille Cala. Turg lui chuchota à l'oreille qu'il y avait un lit pour dormir dans la pièce d'à côté.

Hieran hocha simplement la tête et le remercia à voix basse avant que celui-ci ne parte sur la pointe des pieds.

Le guerrier attendit d'être sûr que l'Impératrice soit profondément endormie pour bouger un tant soit peu. Il retint sa tête avec sa main alors qu'il se levait et souleva l'Impératrice doucement. Il la porta jusqu'à la chambre d'amis et la coucha sur le lit, tirant sur elle la couverture.

Il la regarda un moment dormir, lui trouvant l'air paisible et serein et esquissa un très léger sourire avant de sortir sans bruit de la chambre.

Lui-même se coucha devant la cheminée, s'enroulant dans son manteau et s'endormit peu de temps après.



Avant que l'aube ne soit levée, Hieran était parti : il avait rendez-vous avec Sthenn dans la plaine.

Seule dans le noir qui précédait l'aube, Cala regardait le plafond de la chambre sans le voir, laissant son esprit vagabonder.

Elle entendit le guerrier s'élipser furtivement pour son rendez-vous avec le dragon de la veille.

"Idiot..." murmura-t-elle affectueusement, un pâle sourire, légèrement triste flottant sur ses lèvres exquises...