Département des guérisseurs.

Bedwyr arriva en trombe à la Haute Cité de Pale. Monté sur son immense percheron, il tenait d'une main les brides de son cheval et de l'autre, celles du cheval où il avait attaché comme il avait pu Calvendith, agonisant.

Dès qu'il fut en vue du quartier des guerriers, il s'écria :"De l'aide ! J'ai besoin d'aide !". Aussitôt, des guerriers se précipitèrent pour l'aider.

Il sauta à bas de son cheval alors que celui-ci n'était pas encore arrêté et entreprit de défaire les liens qui maintenaient Clavendith sur sa monture. Aidé par d'autres guerriers, il ne mit pas longtemps pour l'en dégager. Il le fit descendre et avec l'assistance d'autres personnes, réussit à le conduire à l'intérieur du quartier des guerriers.

"Allez prévenir les guérisseurs !"ordonna-t-il d'une voix rendue rauque par sa course effrénée à des jeunes apprentis qui ne se le firent pas dire deux fois.

Enfin, ils arrivèrent au niveau du département des guérisseurs qui les attendaient à l'entrée de la salle.

"Vite ! Portez-le par ici !"fit l'un d'eux qui, vu son âge avancé et l'autorité qui s'en dégageait, devait être leur chef. Il désigna une paillasse couverte d'un simple drap blanc et Bedwyr y déposa son ami.

"Ecartez-vous, s'il-vous-plaît."dit le vieux guérisseur d'une voix catégorique.

Bedwyr s'éloigna de Clavendith mais resta tout de même assez près.

"Vous pouvez le soigner ?"demanda-t-il, tout en craignant la réponse.

Mais le guérisseur ne répondit pas, trop occupé qu'il était à donner des instructions et à défaire l'armure et les vêtements du chevalier blessé pour le soigner.

Bedwyr se sentait complètement impuissant et se passa une main sur son visage d'une inhabituelle pâleur. Un jeune guérisseur vint lui proposer des soins mais Bedwyr l'écarta d'un geste agacé de la main tout en lui disant qu'il devrait plutôt s'occuper de vrais blessés.

Le vieux guérisseur passa moults onguents sur les plaies de Clavendith. Bedwyr aurait été incapable de dire combien de temps il s'était écoulé depuis qu'il était parti le chercher mais la nuit était déjà bien avancée lorsque le vieux guérisseur eut terminé.

Il se tourna alors vers Bedwyr et secoua tristement la tête :"Il faut attendre mon ami... attendre."dit-il d'une voix lasse.

Bedwyr le regarda s'éloigner, l'air désespéré. Ses épaules s'affaissèrent et il baissa la tête, regardant le bout de ses chaussures, il n'avait même pas vu Grufus, assis à côté de lui, ses grands yeux noirs tournés vers son maître dans un regard inquiet.

Au bout de quelques instants, Bedwyr releva la tête et se dirigea vers la couche de son ami. Il s'assit à côté de lui et commença ce qui devait s'avérer une longue veillée, la tête de Grufus posé sur ses genoux.

Le rafus au dehors, tira Tessa de ses pensées. Soudain, un jeune guerrier entra en trombe dans ses appartements, essouflé.

-Ma dame... Nous avons un blessé grave... Le seigneur Clavendith.

Elle se leva, tendue et s'approcha du jeune homme. Elle parla d'une voix calme :

-Que s'est-il passé?

Il la regarda, les yeux écarquillés.

-Je... je ne sais pas. Le seigneur Bedwyr l'a ramené et conduit aux quartiers des guerisseurs.

La jeune fille soupira.

-Très bien, merci. Vous pouvez disposer...?

-Garreth, ma dame.

Il s'inclina et repartit. Elle sentit un museau chaud dans le creux de sa main. Elle posa le regard sur sa louve et sourit tristement.

-Allons-y.

Elle se dirigea d'un pas vif, vers le quartier des guérisseurs. Elle s'entretint quelques minutes avec le vieux guérisseur qui lui fit part de ses sombres préoccupations quand à la survie du guerrier. Elle le remercia et se dirigea vers le lit de Clavendith. Il gisait là, inconscient, la respiration laborieuse. Se ferait-elle jamais à pareil tableau? Bedwyr était à ses côtés, une expression douloureuse affichée sur son visage grave. Elle prit une chaise et s'assit face au guerrier.

-Messire Bedwyr, je suis désolée de venir vous importuner dans ces moments difficiles, mais je dois savoir ce qu'il s'est passé...

Dans les yeux de Tessa, on pouvait lire toute la compassion et la gène qu'elle éprouvait à venir troubler sa veille.

Bedwyr releva la tête en entendant la voix de Tessa. Il regarda la jeune femme pendant quelques instants sans prononcer un seul mot. Il était accablé par ce qui arrivait à son ami et dut faire un effort de concentration pour capter le sens des paroles prononcées par Tessa.

Il soupira avant de baisser la tête en la secouant doucement. Il passa une main sur son visage las avant de caresser Grufus qui émit un léger jappement devant la mine triste de son maître. Il lui adressa un pâle sourire avant de lever de nouveau la tête et de poser ses yeux sur Tessa. Il comprenait tout à fait la nécessité qu'il y avait à lui raconter ce qui s'était passé et, malgré la fatigue qu'il sentait envahir son corps et son esprit, il s'éclaircit la voix et commença son récit.

"Clavendith m'avait dit avoir quelque chose à faire à la Cité de Lether. Cependant... il m'avait également dit qu'il devait revenir hier... Comme personne ne l'avait vu, j'ai décidé de partir à sa recherche... Je m'inquiétais pour lui car il n'est pas du genre à ne pas respecter ce qu'il dit...

Je suis donc arrivé à la Cité de Lether, dans un quartier abandonné à l'entrée duquel se trouvait sa monture... J'ai alors entendu comme des bruits de lutte, puis, plus rien... J'ai dégainé mon épée et suis parti pour trouver l'origine de ces bruits. Dans une maison, j'ai trouvé Calvendith, conscient mais salement amoché... Il m'a alors expliqué qu'il avait été pris en chasse par Crinos, le chef des loups-garous, et quelques uns de ses sbires...

Mais... mais à peine m'avait-il dit ça, que l'un d'eux nous a attaqué... Il a assomé Clavendith d'un puissant coup. J'ai pu seulement le blesser, n'étant pas armé d'une épée en argent. Cependant... cela m'a laissé le temps de venir jusqu'ici."

Il avait parlé, faisant des efforts pour rester le plus cohérent possible. Mais étant particulièrement éreinté, il sentit sa tête tournée, quand bien même il était assis. Il se massa les yeux du bout des doigts avant d'ajouter :"Voilà... c'est ce qui s'est passé..."

Tessa écouta Bedwyr, sans l'interrompre, se contentant de hôcher la tête et de froncer les sourcils à la mention de Crinos. Que fichait-il là?
Elle soupira et se passa la main sur les yeux. Encore un mystère de plus.
Elle se leva sans un mot et interpella un garde.

-Et toi! Va me chercher de quoi manger et boire pour le seigneur Bedwyr! Tout de suite!

Son ton ne laissait pas place à la tergiversation. Il fit un salut militaire et se dépêcha de partir. Elle retourna s'asseoir près du guerrier éprouvé. Elle observa son chien qui boitait légèrement.

-Voulez-vous que je fasse appel au maître du chenil pour examiner votre chien? Il ne faudrait pas que cette bête magnifique soit négligée.

Son ton était doux. Le soldat revint avec un plateau bien garni.

-Vous devriez manger, à défaut de dormir, Messire. Je ne pense pas que Clavendith soit heureux de voir qu'il vous met dans cet état-là.

Elle approcha sa main du front du guerrier blessé. Il était brûlant. Elle l'effleura de ses doigts frais, puis se leva à nouveau pour prévenir le guérisseur. Elle revint près de Bedwyr et lui parla d'une voix douce.

-Vous devriez quand même aller vous reposer, Bedwyr. Je veillerai sur lui et vous préviendrai au moindre changement.

*Que ce soit en bien ou en mal* ajouta-t-elle en son for intérieur.

Bedwyr opina silencieusement de la tête à la proposition de Tessa quant aux soins qu'il faudrait prodiguer à Grufus. D'ailleurs, il se sentit coupable de ne pas y avoir pensé avant mais il fallait tout de même avouer que l'état sérieux de Clavendith avait occulté toute autre préoccupation. Il caressa la grosse tête du chien qui se mit à agiter la queue, balayant sur un petit périmètre les diverses saletés recouvrant le sol.

Il ne réagit pas beaucoup à la vue des victuailles et ne marqua pas de réaction avant de sentir les doigts frais de la jeune femme sur son front. Il tressaillit sans le vouloir et comprit qu'elle lui disait d'aller se reposer. Il voulut refuser, mettre en avant le fait qu'il s'agissait de son meilleur ami et qu'il ne pouvait le laisser seul mais il devait reconnaître qu'il était particulièrement las et que quelques heures de sommeil ne pourraient lui être que profitables.

Il hocha donc doucement de la tête avant de dire :"Très bien..."

Il se leva péniblement et les douleurs qu'il sentait envahir tous ses muscles le firent grimacer malgré lui. Il prit une miche de pain qui se trouvait sur le plateau avant de quitter la salle, boitant légèrement, Grufus sur les talons. Il était comme anesthésié et ne savait plus vraiment ce qu'il devait faire une fois franchi le seuil de la porte. Il resta un instant dubitatif avant de se rendre dans ses appartements.